QUEL EST LE RÉEL POUVOIR DU MEME?
Commentaire d'article:
"Revenge by photoshop: Memefying police acts in the public dialogue about injustice" Petra Saskia Bayerl, Lachezar Stoynov
Introduction
Qui est le pepper-spraying cop?
La symbolique de ce mème contestataire
La "sousveillance" par le mème
L’article étudié traite d’un tel phénomène. Tout commence le 18 Novembre 2011, en plein mouvement Occupy Wall Street (OWS) aux Etats-Unis. Sur le campus universitaire de UC Davis, des étudiant.es militant.es occupent littéralement le campus, au sol. Incapables de les faire bouger, les policiers du campus en charge de la sécurité sont à cours de stratégies. L’un d’entre eux sort son spray et asperge, de manière nonchalante, les étudiants immobiles, assis sur le sol, et est photographié. C’est le début du mème “pepper-spraying cop”. C’est peut être cette attitude nonchalante du policier qui est à l'origine de l’explosion de la diffusion de mèmes à son sujet, tant elle est absurde et donc propice aux reprises humoristiques et à nombreux détournements.
Suite à l'engouement sur les réseaux sociaux, auquel les médias traditionnels ont contribué en couvrant le phénomène en ligne de diffusion de ces mèmes contestataires, le chef de police du campus a démissionné, montrant ainsi l’impact très réel du discours politique en ligne. Ceci exemplifie un continuum en ligne/hors ligne dans les batailles politiques et de légitimité.
La décrédibilisation de l’institution policière et de l’Etat qui s'ensuivit incarne ainsi un renversement des rôles, un tribunal populaire qui “sousveille” le pouvoir en place, ici considéré comme oppressif, et qui n’est pas présent sur les réseaux pour policer le contenu, puisqu’il est souvent libre de réels gatekeepers. Cette forme de participation politique s’accorde par ailleurs avec le mouvement social à l’origine de la manifestation à UC Davis, OWS, populaire et contestataire des institutions traditionnelles et des élites. Puisque l’outil du mème invite, par sa nature, à la participation individuelle, il permet aussi de créer un discours politique libéré de la hiérarchie traditionnelle, le rendant propice à la contestation sociale. Il transcende les groupes sociaux, mais surtout il en crée d’autres, virtuels. Il raconte une histoire, qui est compréhensible rapidement, et puisque drôle, a le potentiel de faire adhérer dans la réalité à la thèse soutenue implicitement et subtilement par son auteur.
On pourrait même dire qu’il peut “empower” la catégorie de la population traditionnellement considérée comme apolitique ou méfiante de la participation politique, la jeunesse. Faire des mèmes politiques signifie en effet de participer à un discours normatif, dissimulé derrière un humour absurde, décalé ou cinglant, mais venant “du bas”.
Effectivement, comme tout mème viral à succès, il a été repris sous des formes multiples, et qui ont visé progressivement les institutions politiques et policières dans leur ensemble, mais plus globalement la condition humaine. Par exemple, le policier en question a été représenté visant de son arme poivrée la constitution étasunienne, symbolisant la liberté nord-américaine dans toute sa splendeur et notamment la liberté d’expression incarnée par le premier amendement. Il a été aussi vu aspergeant le sol, perché à la place de la Statue de la Liberté. Les réseaux sociaux sont propices à la diffusion massive de mèmes, puisqu’ils permettent une communication et une reproduction rapide, avec la possibilité notamment de modifier le contenu sans avoir besoin de compétences très développées, ce qui confère au mème un potentiel participatif considérable.
La symbolique de ce mème contestataire
LES MEMES ET LA SOUSVEILLANCE
Aujourd’hui populairement connus comme des images humoristiques partagées sur Internet, souvent au ton sarcastique ou absurde et léger, les mèmes sont à l’origine toute autre chose. Inventé par le biologiste Richard Dawkins (ci-contre), le terme désigne au départ un élément culturel, et donc à priori inutile à la survie d’une espèce, qui, agissant tel un parasite, assure sa reproduction et sa survie en se diffusant chez les individus qui les reproduisent consciemment, mais qui ce faisant ne répondent à aucune nécessité individuelle ou de l'espèce. C’est pour cela que le biologiste, qui se spécialise dans les comportements humains et animaux l’appelle “le gène égoïste".
Est-il si inutile? Les mèmes politiques sur Internet sont une représentation particulière de ce phénomène. En utilisant l’humour (Lyttle, 2001), une idée politique peut subtilement se diffuser par le biais d’images qui évoquent le rire et surtout captent l’attention. Nous verrons ici que les réseaux sociaux, en s'accaparant le discours public via le phénomène de diffusion de mèmes, peuvent être le lieu de renversement de rapports de force traditionnels, et notamment peuvent permettre aux citoyens, peut-être même parfois apolitiques, d’effectuer une “sousveillance” des institutions policières ou politiques.